Le sexe émoi de Frédéric Manthé

 

Sexe Émoi

Sexe émoi

 

Le sexe émoi...avec un jeu de mots ? Assurément.

Cent pour cent des personnes croisées dans notre vie sont nus sous leurs vêtements. Nous sommes tous porteurs d'un sexe, aux fonctionnalités identiques, répondant à la même transmission génétique, celle de procréer. Mais, comme nous sommes une race animale éduquée et que nous savons raisonner les naissances, nous nous retrouvons en pleine possession d'un appareil qui, faute de faire des enfants, continue à pouvoir nous donner du plaisir. Vu de l'extérieur, pourquoi se plaindre d'avoir du plaisir sans les contraintes parentales inhérentes à la fécondation ? Eh bien, le plaisir, selon l'éducation judéo-chrétienne, appartient au diable et quiconque s'en gorgeant en dehors des préceptes fixés par la religion, risque de brûler pour l'éternité dans les flammes de l'enfer.

Dans le monde moderne dans lequel nous vivons, mes propos semblent dépassés et pourtant, en y réfléchissant, vous verrez que nous sommes tous, chacun à notre niveau, confrontés à une vision liberticide de notre sexualité et du plaisir qu'elle procure. Et ce plaisir contrarié déborde maintenant largement celui du sexe, car manger trop ou trop gras, trop boire, etc. ne peut se faire sans culpabilité. Mais intéressons-nous à ce truc que nous avons entre les jambes et que nous cachons précieusement comme si nous avions gagné au loto. Tellement bien caché même, que parfois, nous ne savons plus où il est reclus, tant nous devenons étrangers aux sensations qu'il procure.

 

Être, plutôt que vouloir être

Il n'est pas si facile de prendre du temps pour soi, d'accepter de se laisser porter par ses sensations sans leur opposer de résistance. C'est un plongeon dans un océan de douceur donnant cette impression de flotter dans un espace où l'air se transforme. Prendre le temps de s'accueillir et de s'aimer dans l'instant pour ce que l'on est vraiment. Les mains qui offrent le massage redéfinissent les contours de notre corps, précisément, et permettent de se réapproprier, sans pensée déformante, cette enveloppe qui est la nôtre et que l'on renie souvent. Alors, "Être" devient une évidence. Le corps est immobile, mais chaque cellule chante à l'unisson le plaisir vibratoire qui s'empare d'elle, emportant le corps dans des vagues de sensations et d'émotions. Un voyage immobile au cœur du divin, un voyage au plus profond de notre être et de notre âme.

 

L'espace intime

Pourtant invisible, nous ressentons l'existence de cette fameuse bulle de protection, dès que quelqu'un en franchit, même de manière non-intentionnelle, la frontière. Cette bulle est d'ailleurs inversement proportionnelle à la confiance que l'on a en nous et du choix, souvent subjectif, que nous faisons des personnes ayant le droit de nous approcher. En fonction de cette fameuse confiance, nous nous accordons la possibilité de repousser les limites de notre espace intime jusqu'à nous laisser toucher, voire même pénétrer.

Plusieurs paradoxes à relever :

- Le premier, c'est que dès que l'on a lâché prise et laissé pénétrer cet espace, l'élu possède comme un droit de passage permanent sans que l'on se demande si chaque rencontre est bonne pour nous.

- Le second, c'est que cette confiance que l'on accorde à l'autre peut être démesurée par rapport à celle que l'on s'accorde à soi-même et que l'on peut s'estimer trompé à cause d'une frontière que l'on a nous-mêmes ouverte.

- Le troisième, une fois l'espace intime pénétré, en cas de contact physique, est de vouloir que l'on nous donne un plaisir que l'on n'est pas toujours capable, soit d'accueillir, soit d'accepter, soit de se donner soi-même.

- Enfin c'est de se sentir, souvent inconsciemment, plus à l'aise lors d'une rencontre hors de l'espace intime connaissant notre capacité à nous couper de notre corps et de ses sensations dans une relation physique "pour faire plaisir".

Il est évident, que dans tout exemple, il existe aussi son contraire et que les personnes resplendissantes par la libre circulation de leur énergie sexuelle ne trouveront aucun écho dans la lecture de cet essai.

 

Le cahier des charges de notre intimité est souvent tragiquement rempli de :

- ce que l'on considère comme indispensable.

- ce que l'on souhaite vraiment.

- nos peurs, celle-là même qui nous empêchent d'être réellement en contact avec notre intimité.

Et plus ce cahier des charges est rempli, plus il est difficile de se laisser approcher, tant la peur du viol de notre intimité est grande. À force d'en repousser les limites, nous finissons par oublier cet élément essentiel qu'est le ressenti, notre ressenti, cet appel du corps qui nous rend vibrants, vivants, épanouis. Un peu comme cette obsession des dates de péremption qui nous coupe de notre odorat si précieux jadis à détecter de la nourriture avariée.

Et pourtant, tous les jours ces limites sont transgressées. Dans les transports, dans les magasins, dans les files d'attente. Et nous en souffrons terriblement, ressentant au quotidien ces multiples agressions nous mettant en état de siège face à l'ennemi. Que se passerait-il si, tout à coup, nous décidions d'ouvrir les bras et d'accueillir notre prochain comme un ami ?

Si nous lâchions prise, dans l'ouverture, en reconsidérant avec conscience ce qu'est vraiment notre intimité et où nous la situons.

 

Émoi du sexe

Si je ferme les yeux et que quelqu'un me touche, n'importe qui, et que je ressens du plaisir. Est-ce que je repousse la personne ou je la laisse continuer en profitant du moment ?

Qu'est-ce que le mental me renvoie à ce moment-là ?

« Tu as du plaisir », « Nourris ton corps avec ce ressenti positif où tu te mets en danger », « Ce n'est pas la bonne personne, le bon endroit, une attitude correcte », « Qu'est que penseraient tes parents, tes voisins, tes amis, etc. si on te voyait » ? Ou alors de la culpabilité comme : « Tu vas le regretter », « L'autre ne te mérite pas », « Tu te laisses faire trop facilement », « Ne te donne pas en spectacle », « On est en train d'abuser de toi ». La grande question étant de déterminer, lorsqu'une personne me touche et me donne du plaisir, ce plaisir lui appartient ou s'il m'en fait cadeau ?

On le voit dans cet exemple : quelques mots pour accepter ce qui est bon pour moi et un tas de raisons et d'explications pour essayer de ne pas l'admettre. D'ailleurs, ces protections, souvent guidées par nos peurs ou par des principes éducatifs en opposition avec nos besoins, peuvent nous mettre en danger et nous pousser vers une sorte de passivité, nous obligeant à accepter l'inacceptable.

Quand nous sommes en contact avec notre ressenti et que l'on reste juste envers nos besoins réels, il est facile de manier le « Oui » et le « Non » avec respect, tant pour soi que pour l'autre, avec la franchise courtoise de celui qui sait prendre la bonne décision au moment où il le fait.

Quelles sont ces différentes barrières que j'accepte ou non de laisser franchir ?

- l'approche visuelle : est-ce que j'accepte que l'on me regarde, même avec insistance, sans me laisser perturber, sans me sentir agressé. Est-ce que si ce regard est rieur, je vais penser en être le déclencheur ou juste me dire que mon protagoniste est de bonne humeur, voire même moqueur, mais que tout cela lui appartient ?

- le contact : je suis frôlé, ou me retrouve collé à quelqu'un ou quelqu'un me parle et ponctue ses phrases d'un toucher amical : est-ce que je recule pour éviter tout contact ? Est-ce que je me sens prisonnier de ma situation, avec l'envie de partir, mais sans vouloir vexer, ou est-ce que je m'accommode de cette convivialité en trouvant cela parfaitement sympathique ? Un élément supplémentaire à prendre en compte est également le fait de comprendre si j'accepte la convivialité par intérêt (la personne me plaît) ou parce que ce contact est parfaitement naturel.

- ma nudité :  est-ce que si je suis nu, je suis plus vulnérable ? Quelqu'un me voit nu. Seul son regard est posé sur moi. Est-ce que je me sens en position d'infériorité ? Est-ce que son regard posé sur moi me vole quelque chose ? Est-ce que j'ai envie de me cacher ou est-ce que je me sens bien comme je suis, voire même supérieur parce que plus naturel ? Exagérons la situation en imaginant que la personne qui me regarde ressent visiblement un émoi sexuel. Mes impressions : « Je me sens volé, violé », « Elle ne mérite pas le plaisir qu'elle prend grâce à mon image », « Elle n'a pas le droit, etc. » ou « Elle ne prend rien, si ça lui fait plaisir », « Je ne me sens pas concerné » ?

- mon plaisir : est-ce que je suis capable d'accepter l'idée que le plaisir que je ressens m'appartient et que la personne qui me le procure n'est que le déclencheur de ce je possède en moi ? Est-ce que si je me masturbe et que quelqu'un me voit dans ce contact intime avec moi-même, j'ai l'impression d'être découvert, de lui offrir une emprise sur moi, de me sentir honteux ou gêné ou est-ce que je reste dans mes sensations sans me poser de questions, centrant, en conscience des montées énergétiques que je ressens ?

- mon émoi : l'émoi est une émotion vive causée par l'inquiétude, la douleur ou la joie, la sensualité. Quand je suis en contact avec mon sexe, qu'est-ce cela provoque en moi ? Est-ce que j'arrive à être en contact avec chacune de mes sensations en les accueillant dans une bienveillante ouverture ? Qu'est-ce que je ressens en premier ? La douleur, la culpabilité, la crainte du plaisir ou l'orgasme qui sont des tremplins vers le lâcher-prise et l'acceptation ? Est-ce que je suis capable de faire taire le mental pour laisser faire plutôt que de vouloir faire ? Ou bien suis-je capable de ressentir l'érotisation de chacune de mes cellules et d'accompagner cette vibration en spirale qui envahit mon corps par une respiration lente, extrêmement lente et consciente ? Est-ce que je peux « Être », plutôt que « vouloir Être » et, loin de tout contrôle, de toute attente, laisser monter l'extase en mon cœur, dans une magnifique ouverture ? Ou, encore plus haut, dans la conscience devenant extatique, pour laisser vivre en moi ce que l'amour a de plus beau, de plus magique : l'amour avec un grand "A" ?

sNe nous en déplaise, notre corps est sexué, et nombre d'entre nous ont cru pouvoir se couper de ses sensations. Non sans dommage et sans vivre ce que j'appellerais une petite mort : avoir moins d'appétit (ou trop), faire moins de rencontres, trouver les échanges entre copains plus fades, avoir moins envie d'entreprendre, de s'habiller, de s'apprêter, trouver la nature moins belle, le soleil plus pâle, etc. en sont quelques exemples. Et à l'inverse, après une nuit d'extase rompant avec une abstinence prolongée, d'entendre des compliments sur ses cheveux, son teint, sa présence, sa forme, alors qu’il s’agit juste de la manifestation de notre épanouissement sexuelle.

 

L'abandon

Le corps est animal dans ses besoins et étrangement souvent contrarié par une éducation omniprésente, une société didactique et schématisante, des protections posées dès l'enfance. Notre perception de ce corps est souvent faussée par la culpabilité, le manque de confiance, le déni, une image de soi dégradée. Nous sommes sous l'emprise de notre mental. Certains mouvements conduits avec une extrême lenteur, assurance et conscience vont aider le mental à se détacher de l'instant présent. C'est à ce moment-là que l'énergie va pouvoir se mettre à circuler selon les besoins inconscients de la personne massée. Cet abandon est déclencheur de prises de conscience importantes, de ressentis puissants, d'images symboliques fortes. Il est salutaire dans la confiance que l'on s'accorde, dans le recul que l'on prend alors sur sa propre existence et sur son chemin de vie. Enfin, il permet de passer un moment avec soi-même, réel, sans se fuir et en s'aimant vraiment pour ce l'on est.

 

Sauvegarder son espace intime

Un cahier des charges le plus simple possible est une solution. Moins nous en voulons, plus nos chances d'être épanouis augmentent. Acquérir la confiance en soi est primordial dans cette démarche afin d'éviter au maximum les agressions liées à des blocages que l'on refuse de voir en nous.

Ne pas être dans l'utopie de la situation. Un peu comme vouloir aller dans les transports en commun aux heures de pointe et ne pas être bousculé, aller se baigner en piscine et ne pas être éclaboussé, se mettre au soleil et ne pas vouloir bronzer, aller sur une plage l'été et être tout seul, etc.

L'espace intime ne doit pas être figé et peut, en fonction de l'écoute de soi, varier d'un moment à l'autre de la journée. S'isoler par moments peut permettre de mieux accepter la promiscuité indissociable de notre vie en communauté. Il existe également une technique toute simple permettant de faire reculer les barrières de notre espace intime : le sourire. Cette illumination du visage est un outil formidable pour gérer notre espace et nous permettre de contrôler facilement le franchissement de nos barrières tout en restant soi-même dans l'ouverture.

 

L'autonomie dans la rencontre

Être dans la conscience est un exercice difficile. La mettre en pratique pour connaître nos besoins réels et être au plus justeÊtre dans la conscience est un exercice difficile. La mettre en pratique pour connaître nos besoins réels et être au plus juste avec eux l'est encore plus, d'autant que la plupart du temps, notre éducation, la peur du jugement, du rejet de la différence et notre propre culpabilité sont des ancrages forts qui déterminent nos choix. Nous essayons, de plus en plus, de raisonner l'animalité de notre corps en ne la laissant s'exprimer que dans la frustration et le déni. Nous avons du mal à accepter le plaisir comme un ressourcement du corps. Ou si nous le faisons, ce n'est que sous certaines conditions souvent très éloignées de nos besoins du moment présent. Accepter d'être autonome, c'est accepter d'être vivant afin de créer un vrai partage dans la rencontre. S'accepter soi-même avec nos défauts, nos qualités, nos mystères, nos ambiguïtés, en est la source. C'est également accepter avec plaisir que mon sexe et moi, nous sommes et nous ne faisons qu'un.