Réciprocité n'est pas aimer » de Frédéric Manthé 


Je t'aime moi non plus !

 « Je t’aime moi non plus » titrait son film, Serge Gainsbourg en mars 1976. Je trouve que ces quelques mots reflètent bien ce que le désir de réciprocité peut entrainer dans notre schéma de vie et du couple en particulier.
Afin d’éviter le piège du malentendu, cette réflexion ne s’appuie pas sur aucun écrit à citer, rien de sérieux pouvant étayer mes propos, aucune cache derrière laquelle je puisse me retrancher afin de crédibiliser mes dires. Seulement mon ressenti et une forme de mélancolie devant ce sentiment d’impuissance à voir naître autour de moi cette légèreté de vie dans laquelle chacun de nous mérite de se baigner.

J'ai rencontré la réciprocité parfaite

« La réciprocité existe. Je l’ai vérifié ce matin et vous encourage à le faire, en me regardant dans un miroir en pied. L’image que j’avais en face de moi faisait exactement la même chose que moi : aux détails près. Même les mouvements involontaires de mes cheveux créés par le courant d’air de la pièce étaient reproduits. Magnifique complicité que j’avais avec mon image. Magnifique et un peu ennuyeuse, je dois l’avouer. Ce retour, impeccable, de chacun de mes mouvements était un peu effrayant, tant il était parfait. Terriblement identique. Tout à mon observation je finissais même par espérer que mon image, celle que mon miroir me renvoyait, allait faire le premier pas et commencer à bouger, même une fraction de seconde, avant que je ne le fasse moi-même. J’ai tu mes mouvements et je me suis mis à penser. J’avais, en l’idée, de casser un peu la monotonie de cette réciprocité que pourtant je souhaitais vivre. Et bien ce fut imperceptible, sans doute, mais mes pensées générant différentes émotions finissaient par les imprimer sur mon visage et force était de constater que cette image, en face de moi, qui me regardait et bien cette image me renvoyait mes pensées. J’ai pris peur, une vraie panique de celle qui vous cloue sur place au lieu de vous aider à fuir. En fait, j’ai réalisé que même si je tournais le dos à mon image réciproque pour m’en échapper elle me renverrait implacablement le reflet de ma fuite. J’ai compris à ce moment-là à quel point réciprocité pouvait rimer avec emprisonner.

Une relation de couple normale

Je me suis trouvé, alors, très démoralisé, car je n’ai pas manqué de transposer ça à ma vie du moment. Une relation de couple somme toute normale, avec des hauts et des bas où le doute s’est installé, un peu, à cause d’incompréhensions, petites et pas si graves, mais aussi par des prises de positions divergentes, souvent sans importance et pourtant gravées au couteau sur la liste de l’inacceptable, ou encore des refus de penser comme moi, de toucher comme moi, d’aimer comme moi, de jouir comme moi, d’aimer les mêmes choses que moi, d’adorer le sport, les films d’action, de se lever de bonne heure, de se coucher tard, d’avoir les mêmes envies que moi au même moment… Et oui, parce qu’il ne faut pas seulement être comme moi. Il faut aussi être comme moi, en même temps, dans la même intensité, avec le même plaisir d’être et de contempler que l’autre.
Et là, franchement, j’ai eu de nouveau peur en ayant l’impression de me retrouver de nouveau devant mon miroir.»

Pourquoi, pourquoi je dis toujours pourquoi ?

Je t’aime - tu m’aimes, il m’aime - je l’aime, ils nous aiment  - nous les aimons.
Je t’aime plus fort et tu m’aimes plus fort, surement. Il m’aime différemment je trouve  - et moi qui l’aime toujours ! Ils nous aiment encore - et nous, pareil ?
Que les choses deviennent compliquées quand on oublie d’exister avec soi-même dans sa relation de couple, quand l’on veut vivre à deux et parfois pour deux, une vie à l’identique. Comme si, pour exister, une relation à deux devait être empreinte d’un mimétisme parfait. On respire de la même façon, on pense pareil, on partage les mêmes goûts et surtout on se montre que l’on s’aime avec toujours le même enthousiasme, la même fougue, la même passion, le tout calqué sur le comportement de l’autre pour éviter que le doute s’invite.
Pourquoi est-ce que je souhaite vivre dans un monde qui me ressemble alors que je ne cesse de me fuir ?
Pourquoi est-ce que je n’accepte pas mes différences ?
Pourquoi est-ce que je me sens parfait dans la continuité de mes erreurs et fragile dans l’exploration de ce qui pourrait me faire aller mieux ?
Quels sont ces freins qui m’empêchent de vivre ce que je ressens comme juste, grâce à l’éclairage de mes lectures ?
Pourquoi est-ce que je souhaite que mon couple soit à l’image de ce que je projette pour lui plutôt qu’à ce que je peux vraiment lui apporter ?
Pas de réponse ici. Juste des questions qui amènent aux réflexions.

Un couple est l'union de deux individualités

L’union de deux personnes est la réunion de deux individualités différentes. J’accepte ces différences à la condition qu’elles puissent me valoriser, me sécuriser, m’émouvoir, m’émerveiller, en-tout-cas qu’elles ne me laissent pas indifférent. Pour les autres, celles que je n’aime pas, j’ai un remède. J’espère pouvoir les gommer, les effacer, les anéantir… les contrôler ! Pour cela rien de tel que la réciprocité. Je l’aime - il m’aime, je le lui dis - il me le dit, je sors avec un copain – elle sort avec une copine, il veut aller au cinéma – j’y vais aussi même si ça ne me dit rien ou je l’en empêche en ne voulant pas qu’il sorte seul, il va chez le coiffeur – moi aussi, il n’y a pas de raison à ce qu’il plaise plus que moi, j’ai envie de faire l’amour – pas lui, il ne m’aime plus, il a quelqu’un d’autre dans sa vie, il a envie de faire l’amour – moi aussi, mais franchement il ne pense qu’à ça et même si j’en ai envie je vais le punir en disant non  - et plus encore.

Miroir, mon beau miroir...

En fait, je me rends compte, à quel point je suis le prisonnier de mes propres projections. Je ne souhaite pas le miroir et pourtant je le déplace à chacun de mes pas. Plus absurde encore, je fais le reproche au miroir d’être ce qu’il est. Je m’aperçois en définitive que souvent quand je dis je t’aime, je le dis à cette partie de moi que je souhaiterais voir réveillée par l’attitude de l’autre, mais pas tellement à lui. Je le sais, car je suis capable de le détester et de le rejeter, à la moindre occasion alors que le plus souvent, c’est cette partie de moi à laquelle je n’arrive pas à me connecter qui me fait horreur. Et si j’en étais vraiment conscient, je comprendrais alors que la complicité et l’amour dans la générosité seraient salutaires à me rassurer tout en m’invitant à la patience à comprendre qui je suis réellement.

Tu es donc je suis

La réciprocité existe aussi quand on calque ses pas sur ceux de l’autre. On veut être comme lui ou mieux encore, être lui. Penser comme lui, voir les choses comme lui, rentrer dans son espace,  avoir la même chance que lui, partager ses émotions, se fondre dans sa bulle, comme si pour vivre ma vie, je devais le faire à l’extérieur de moi, dans l’autre. Et si je n’arrive pas à mes fins, simplement parce qu’il est plus facile pour lui de vivre sa vie que moi la sienne, je vais essayer de le freiner, de l’empêcher d’avancer, de le retenir pour ne pas avoir l’impression qu’il m’échappe, de l’emprisonner –  oh non, pas encore le miroir – pour qu’il soit mien, qu’il m’appartienne. En faisant cela, j’oublie une chose fondamentale. C’est parce qu’il était libre de ses actes qu’il a choisi de venir vers moi. C’est sa liberté de choix qui l’a amenée vers moi et non l’obligation de le faire et c’est aujourd’hui parce qu’il se sent libre de le faire et non parce que je le veux qu’il pourra m’offrir le meilleur de lui, dans notre couple.

Je n’ose pas me sentir seul avec moi

Pourquoi, la rencontre des premiers jours est-t-elle tellement magique et que petit à petit les choses ne sont « plus comme avant » ?
Qu'est-ce qui fait que l’on passe de magie à monotonie, routine ?
Je peux toujours en faire le reproche à l’autre, mais moi qu’ai-je fait pour empêcher la magie ?
C’est vrai, il faut bien le reconnaitre, qu’avant, je ne me posais pas de question sur l’après, que je n’avais de cesse de séduire et de me laisser séduire. Je ne projetais pas et j’étais sereinement en contact avec l’autre pour ce qu’il était vraiment. Je buvais à la source, le partage que cet être, dans ses différences, m’apportait un peu plus chaque jour.
Mais alors, pourquoi cette monotonie ?
Peut être parce qu’à un moment, j’ai commencé à douter de moi, de ma capacité à plaire sur le long terme, à ma possibilité à rester émerveillé, à ma façon de vouloir comprendre les différences et les réactions de l’autre, en les analysant avec celles que j’aurais dans la même situation, en plaquant une image sur ce que je pense que les choses devraient être sans vivre ce qu’elles sont réellement. J’ai voulu me retrouver dans ce que je connais le mieux, même de façon imparfaite, moi, dans cette relation, étant capable pour devenir le propriétaire de mon couple, de modifier mon comportement malgré cette impression de ne pas vivre ma vie, sans prendre la mesure, en agissant ainsi, de l’échec annoncé. Je ne me sens pas libre parce que je ne veux pas l’être. Je souhaite appartenir à l’autre parce que je n’ose pas me sentir seul avec moi. J’ai besoin du regard de l’autre sur moi, mais pour y voir ce que je souhaiterais être et non qui je suis.
Et puis, ne dit-on pas : « un de perdu, dix de retrouvés » ? Alors, à moi la nouveauté, pour pouvoir reproduire. Oh, miroir, mon beau miroir !

Mais au fait :

J’aimerais voler, mais je ne suis pas un oiseau, j’aimerais être léger, mais je ne suis pas une plume, j’aimerais être dans le sud, mais je vis dans le nord, je voudrais être heureux, mais je suis amer, je voudrais être joyeux, mais, franchement, comment y parvenir au vu de tout ce que je voudrais être et que je ne suis pas et surtout je voudrais être aimé pour ce que je suis plutôt que pour ce que l’autre voudrait que je sois.

Mais au fait : qui suis-je ?l

 

 

 

 

         

 

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