«
Mon sexe, cet abominable ami »
de Frédéric Manthé
- Je
suis un homme -
Jacques, mon ami
Je suis en contact avec
Jacques depuis ma plus tendre
enfance, sans en avoir vraiment conscience. Jacques, au début, je l’ai
plus ou
moins ignoré, le laissant à sa guise, me rendre les services d’usage.
En fait,
Jacques, était omniprésent dans mon jeune être, mais d’une manière très
subtile, loin des aspirations de ce qu’un esprit éduqué et formaté
pourrait
vouloir de lui, plus tard.
Vers deux ans, j’ai commencé
à me rendre compte que
Jacques pourrait devenir un compagnon de jeu intéressant. Et comme, à
cette
époque, je passais d’un jeu à l’autre, cette forme de cohabitation ne
m’encombrait
pas l’esprit. Cependant, je le ressentais, Jacques à mes côtés, c’était
bon.
Petit à petit, sa présence
s’est avérée indispensable et
les gestes d’affection que j’accordais à Jacques de temps à autre, me
remplissaient d’émois. Jacques, sans mot dire, était en train de
devenir un véritable
ami tout en
laissant apparaître plusieurs
évidences.
Jacques, malgré la fierté de
l’amitié que je lui porte,
doit vivre caché. Difficile, dans mon jeune âge, de comprendre les
méandres de
ce jeu de cache-cache.
Jacques et Irène ont besoin
d'être amis
Je remarque aussi, que tout
le monde à un ami, Jacques,
mais qu’il ne faut pas le montrer, respectant un formatage
communautaire.
Enfin, quand je dis tout le monde, ce n’est pas tout à fait exact.
Certaines
personnes sont différentes de moi parce que leur
« ami » ne s’appelle
pas Jacques, mais Irène. Ce qui est rigolo, c’est que je sens bien que
les
Jacques et les Irène ont besoin d’être amis, mais que ce ne sera pas
facile,
s’ils vivent cachés tout le temps. C’est beaucoup plus tard que j’ai
compris
qu’ils avaient été pensés, créés, dans leurs formes et dans leur
capacité
d’adaptation, dans le seul but de se rencontrer. Une rencontre
contrariée par
cette vie recluse à laquelle ils sont astreints.
J’aime bien Jacques, il est
si surprenant. Très joueur,
il se rappelle à moi en s’amusant à changer de forme, comme un
déguisement. Il
est libre et complètement hallucinant parfois, échappant à mon contrôle
pour ne
faire que ce qu’il veut. Enfin, c’est ce que je croyais, au début. En
fait, je
me suis aperçu qu’il est en connexion directe avec mes pensées. J’ai
d’ailleurs
beaucoup joué avec Jacques à le faire s’épanouir juste en le voulant.
Et à
chaque fois, j’ai eu le même ressenti. Une impression d’être vivant,
léger,
enjoué. Mais Jacques m’a aussi joué des tours. Surtout quand il
rencontrait des
« amis » d’Irène. Alors là il s’animait sans mon
accord, contrariant
cette volonté collective de garder cet ami au secret.
Jacques est magicien
Puis est venue cette grande
révélation. Jacques a des
pouvoirs. Il n’est pas juste un ami joueur, il est un magicien. Il peut
transformer une simple sensation agréable en un tourbillon de lumière,
en un
océan de plaisir, beaucoup plus puissant que tout ce que mon esprit
peut me
faire vivre. Mais plus encore, plus fort que tout. Pendant que je
m’abandonne à
mon plaisir, lui, naturellement, fabrique une substance de vie. Une
substance
destinée à Irène, la seule à pouvoir terminer son travail. Mais alors,
pourquoi
est-ce si difficile de laisser Jacques et Irène devenir amis ?
Pourquoi,
Jacques, serait-il un abominable ami alors qu’il ne me veut que du bien
et ainsi
qu’à celui de l’humanité toute entière ? Surtout que c’est une
part de
moi-même que je cache, en cachant aux autres, cet ami intime. Et eux,
je le
vois bien, font pareil avec leurs « amis ». Jacques,
je dois bien le
reconnaitre, tout à son animalité, souffre beaucoup de cette forme de
mise en
cage qu’est le carcan de nos pensées puritaines.
J’aime beaucoup jouer avec
Jacques, tout seul, même si je
sais que ce n’est pas bien, on me l’a dit. Mais, si je joue avec mon
ami, c’est
déjà que je ne suis pas seul, n'est-ce pas ? Ce sont des jeux,
qui selon
l’humeur ou l’heure, me font dormir, me réveillent, me soignent, me
libèrent de
mon trop-plein d’énergie, me calment, tout en me faisant du bien. Mais
je me
rends bien compte que jouer avec Jacques, le rend vite unique à mes
yeux et me
coupe d’autres amitiés possibles et de celles avec les
« amis » d’Irène
surtout. Je délaisse donc parfois mes jeux solitaires pour m’ouvrir à
l’attraction des Irène. Mais la tâche est ardue et la rencontre très
difficile.
En fait, les « amis » d’Irène, tout à leurs
préoccupations à bien se
cacher, mais aussi, j’en suis sur, accaparés par leurs jeux, entre
« amis »,
ne sont pas très prêts, en apparence à se laisser attirer. Pire que
cela,
Jacques et Irène, au départ fait pour se rencontrer, deviennent un
enjeu, un
cadeau, un don. Ils doivent répondre à un cahier des charges très
précis afin
de lever le secret d’une hypothétique amitié entre eux.
Il en résulte d’ailleurs,
parfois, une grande frustration
ressentie par les propriétaires des Jacques et des Irène. Ah oui,
détail important,
notre ami nous appartient, un peu comme les hypothétiques maîtres
d’animaux
sauvages, qui auraient la prétention de dire qu’ils ont dompté, une
fois pour
toutes, la Bête.
Jacques et Irène : une
amitié impossible ?
Et là, les choses se
compliquent. à force de respecter
les barrières imposées par la
société, de respecter les croyances, d’obéir à des dictats, de ne pas
écouter
les désirs de Jacques, je ressens notre amitié se ternir, flétrir, se
faner.
Jacques est moins joueur qu’avant et de toute façon, je suis moins
réceptif aux
sensations qu’il me procure. Je peux même passer plusieurs jours sans
être dans
la conscience qu’il est là. Il n’est plus, parfois, que le rappel de
ces
services d’usage de ma prime enfance, avant même de découvrir sa magie.
Et même
si Jacques, je le sens bien, à toujours cette envie de rencontre avec
Irène, il
est moins sûr de lui et souvent est habité par une peur qui l’empêche
de
s’épanouir comme avant. Mais comment pourrait-il en être
autrement ?
Prenons l’exemple de notre
relation avec notre meilleur
ami actuel, notre copain d’enfance. Que se passerait-il si nous
mettions des
conditions à cette amitié ? Que nous souhaitions que cette
amitié soit
exclusive. Que nous soyons confrontés à la vindicte populaire à chaque
fois que
l’on vivrait notre amitié au grand jour ? Aimerions-nous
frustrer notre
ami et ne pas vouloir son bonheur en lui reprochant son schéma de vie
sous
prétexte de ne pas correspondre à ce que la société attend de
lui ? Et
lui, qu’en penserait-il ? Comment se sentirait-il ?
La frustration
naît de nous, de nos peurs et interdits, de nos limites. Elle provoque
aussi
cela chez l’autre, créant un climat de méfiance et de besoins refoulés.
La
rencontre devient alors tellement difficile, qu’elle avorte souvent,
avant même
de commencer. Nous sommes tous porteurs de notre nudité et de notre
potentiel
sexuel. 100% des personnes que nous croisons quotidiennement, le sont
aussi.
Cependant, tout à notre préoccupation de cacher nos Jacques, nos Irène,
nous
nous rencontrons sans conscience, préférant souvent nous soumettre à
nos
propres valeurs de jugement, plutôt que d’apprécier le moment présent.
Il est
fort probable qu’en arrivant à nous libérer de tout cela, notre
approche de la
vie serait différente. Que la liberté d’être tout simplement un
individu à part
entière, nous affranchirait d’un grand nombre de frustrations. Nous
libèrerait,
enfin, de cette dépense d’énergie employée à nous cacher. Mais, pour
cela, il
faut oser braver nos pensées limitantes
pour aller à l’encontre de la main mise d’une
éducation judéo-chrétienne
omniprésente. Oser
être celui qui se
rebelle en s’acceptant, tel qu’il est, tout en réussissant à fédérer
d’autres
personnes à son envie de légèreté. Et alors, un jour peut-être, le
plaisir de vivre
ne serait plus pêché.
Conclusion
J’ai pris conscience que je
suis un homme. Le véritable
nom de Jacques est « mon sexe », « mon
pénis », « ma
bite », « ma
verge », etc. l’appellation la plus adaptée reste à choisir ;
et que les « amis »
d’Irène étaient des femmes et qu’Irène était en fait « leur
sexe »,
« leur chatte », « leur pubis »,
etc.
En relisant ce texte et en
remplaçant les prénoms par
l’adjectif qualificatif évoquant le mieux votre sexe, vous remarquerez,
combien
les mots sont importants dans l’acceptation de qui l’on est. Sans but
précis,
ce texte reste le fruit d’une réflexion, amicale.
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