« J'ai
essayé le tantrisme » de
Stanis Las de Haldat
Un texte intéressant et bien écrit sur les divers ressent
que l'on peut connaître en participant à un des nombreux stages
de tantra qui sont proposés. Un point de vue candide et non dénué d'humour,
sur ce que l'on vit, en immersion. N'oubliez pas que ce que nous proposons
est toujours en adéquation avec ce que l'on a envie de vivre et
de faire vivre. Il est donc normal de trouver, sous l'intitulé " stage
de tantra ", plusieurs approches différentes. Diversité permettant
de choisir en conscience ce à quoi l'on a envie de participer. Bonne
lecture. Frédéric.
" Faut-il se tourner vers les spiritualités orientales pour être
vraiment initié à l’art de l’amour ? Des novices
de plus en plus nombreux s’inscrivent dans des ateliers tantra, où l’on
prône à la fois extase et sérénité. Notre
journaliste s’est prêté au jeu du groupe… et
a appris à débloquer quelques verrous.
Paris, IXe arrondissement, une petite salle de yoga.
Michel Riu et Carmen Garcia Enguita proposent un stage de sexualité tantrique.
Tous deux sont thérapeutes depuis quinze ans, experts en psychosynthèse,
rebirth, yoga, shiatsu et sexualité féminine. Voilà maintenant
deux ans qu’ils travaillent ensemble, en France et en Espagne, où ils
proposent des ateliers sur la « sexualité alchimique ».
Les participants, eux, sont novices, même si quelques-uns pratiquent
diverses disciplines venues d’Orient. Il y a là sept femmes et
quatre hommes. Moyenne d’âge : 35 ans. Première surprise
: aucun ne semble porter le poids trop lourd de la misère sexuelle.
Ni physiques disgracieux, ni visages torturés, ni gestes nerveux. Les
filles sont plutôt belles, parfois même très belles. Nous
ferons connaissance un peu plus tard. Pour l’instant, on s’échauffe.
Les préliminaires
Musique. On danse. Il est 3 heures de l’après-midi, on a 14
ans et on fait une boum dans le garage des parents… Carmen nous
invite à bouger en face d’un partenaire et à outrer
nos gestes : « Les filles, montrez toute votre féminité,
les garçons, toute votre virilité. » Puis les choses
se précisent. Carmen : « Les filles, imitez les garçons,
et les garçons, dansez comme les filles. Regardez-vous droit dans
les yeux. Mais attention ! N’entrez pas dans la séduction.
Prenez simplement conscience de votre corps ! » Une demi-heure plus
tard, en tee-shirt et en sueur, assis en cercle, chacun est convié à expliquer
le problème qui l’amène ici. Deuxième surprise
: le tantrisme, c’est un peu le BHV du sexe.
Pourquoi suis-je ici ?
Jane explique que son ami lui fait l’amour de manière un peu
trop mécanique ; Eric a déjà essayé le sexe
taoïste et cherche un truc plus surprenant pour « bluffer » sa
compagne ; Eva souffre de pertes vaginales, un trouble dont l’origine
se trouverait dans sa tête ; Louise ne fait plus l’amour avec
son mari, se réserve à son amant, mais comme il n’est
pas toujours disponible, elle voudrait savoir canaliser ses envies ; Charles
s’ennuie dans la routine conjugale ; Julie veut être sûre
de ne pas se tromper de compagnon avant de faire un enfant ; Marie, elle,
a oublié la date de son dernier rapport et voudrait redevenir désirable.
Et moi ? Moi, j’ai l’impression de ne pas avoir innové depuis
trop longtemps. Et je me dis que je serais trop bête d’ignorer
une méthode qui me promet le septième ciel.
S’ensuit une discussion un tantinet agaçante où de
vieilles antiennes féministes se mêlent à des considérations
scientifiques et morales douteuses. Grosso modo : l’homme peut à tout
instant dégainer son membre et s’en servir comme d’un
marteau-pilon, alors que les femmes sont cycliques et dans la plénitude.
Quant à son sperme – « Une goutte équivaut à quarante
gouttes de sang » –, c’est la vie. Il ne faut pas le
gaspiller mais « en faire offrande ». Bref, chercher à éjaculer,
c’est pas terrible, et la masturbation mécanique et vide-fantasmes,
n’en parlons pas. C’est la troisième surprise : le discours
tantrique ressemble parfois à celui des carmélites.
Le tantrisme, c’est quoi ?
Il est alors temps de lever les confusions : la méthode tantrique, ça
consiste en quoi ? Michel : « Il s’agit d’apprendre à entrer
dans l’érotisme avec la seule énergie du corps, sans
passer par des projections mentales. Sans se faire un film qui transforme
l’autre en objet de sa jouissance. Pourquoi chercher des images extérieures
fictives alors que l’on est face à un partenaire réel
? » Carmen : « C’est l’expérience de l’unité,
avec soi et avec l’autre. Il faut faire remonter l’énergie
génitale dans tout le corps, afin que l’orgasme nous irradie
complètement et ne reste pas bloqué au niveau du bassin.
Pour réaliser cette alchimie entre le bas et le haut, il faut ouvrir
chacun de nos chakras, ces centres d’énergie situés
entre le périnée et la fontanelle. »
Soit, mais comment fait-on ? Exercice : on remet la musique, une sorte
de rythme qui va crescendo, débarrassé de toute mélodie.
Jambes écartées et légèrement fléchies,
on ondule du bassin d’avant en arrière. « Il faut sentir
l’énergie dans les couilles ! » clame Carmen. On ondule,
on ondule. On respire très fort. « Et maintenant, on fait
remonter l’énergie ! Dans le ventre ! » Et puis plus
haut, dans la poitrine, dans la gorge, dans la tête, plus vite… C’est
dur, les muscles tirent. Un vrai cours de gym.
Les filles choisissent un partenaire. Onduler à deux, c’est
mieux. Mais si les gestes, les respirations et les râles de l’assemblée
ressemblent à ceux d’animaux en rut, je ne sens pas encore
monter en moi cette fameuse énergie. On répète l’exercice,
allongés cette fois. Mêmes mouvements du bassin, un peu moins
fatigants, un peu plus sensuels. Mêmes exhortations de Carmen : « Le
scrotum ! On n’oublie pas le scrotum ! » Je termine lessivé et
je me jure de ne jamais plus oublier mon p… de scrotum.
Echange d’énergies
L’exercice suivant est plus soft. Cette fois, il s’agit de
communiquer son énergie à sa partenaire. En position du
lotus, face à face, paumes contre paumes, bercés par le refrain
hypnotique d’un mantra soufi. « Ne vous lâchez pas des
yeux et ouvrez votre cœur, demande Michel. Mais ne cherchez pas à séduire. » Message
reçu ? Au terme de l’exercice – quinze minutes de regards
intenses –, ma partenaire me dira qu’elle a senti en moi une
forte énergie enfermée dans une carapace en acier. Pour l’énergie,
je ne sais pas, mais pour la carapace, well, elle n’a pas tort. La
séquence suivante doit justement m’aider à desserrer
quelques boulons. Car, maintenant, on entre dans le vif du sujet : massage
tantrique pour tous.
Je te masse, tu me masses
Tout le monde se déshabille, les deux plus pudiques – dont
je suis – ne gardent qu’un paréo. Même Jane, qui
avait cru venir à une simple conférence sur le tantrisme,
se retrouve en string. Quatrième surprise : je découvre que – pour
peu qu’on lui parle gentiment –, n’importe qui peut se
mettre à poil et se laisser malaxer par des mains inconnues. Deux
participants s’occupent d’un troisième. J’ai droit
au savoir-faire de Carmen et d’une jeune prof de yoga. Carmen explique
qu’il faut considérer toutes les parties du corps avec la
même neutralité. « Caresser un orteil ou un pénis,
c’est pareil, si on n’y met pas de fantasme. » Même
le scrotum ? « Tout le corps est sacré, il doit être
traité avec respect. » OK. Allons-y.
Allongé, les yeux clos, dans une béatitude pleine de soupirs,
chacun se laisse aller comme un bébé au plaisir d’être
touché par quatre mains, sans tabou. Et si une érection s’annonce
? « Pas de problème, dit Carmen, c’est la nature. » Michel
nous rappelle quand même de nous concentrer sur les sensations et
de chasser les projections. Il n’y aura pas d’érection.
Et, curieusement, pas de frustration non plus. On voudrait juste que ça
ne s’arrête pas. Entièrement détendu, je comprends
enfin à quelles sensations cette expérience me renvoie.
A celles que nous avons tous connues un après-midi d’été quand,
pour échapper à la chaleur, on s’allonge mollement,
nu, dans l’ombre d’une chambre. On peut bander, certes, mais
sans chercher à précipiter l’action. A la crispation
d’une brève pulsion génitale, on préfère,
un peu feignant, se laisser envahir par un doux relâchement de tout
le corps. A deux, ces siestes amoureuses peuvent durer des heures. Et ce
sont les meilleures. Je sors de la séance avec deux certitudes :
la voie tantrique peut nous permettre à tout moment de recréer
cet éden estival du corps et de l’esprit, et l’éjaculation
peut attendre. Elle peut même ne plus être un but. Trente ans
de convictions priapiques viennent de s’effondrer, et je n’ai
même pas mal.
Le tantrisme, ou la sexualité vécue comme une méditation
« Réduire le tantrisme à la sexualité serait
une aberration », prévient Pierre Feuga, professeur de yoga
(auteur de "Tantrisme : doctrine, art, pratique, rituel" Dangles,
1994). En effet, c’est sur le terreau fertile de l’hindouisme
et du bouddhisme que le tantrisme est apparu en Inde, au VIIe siècle,
comme un courant spirituel complexe. Il propose la prise de conscience
de notre unité fondamentale, du corps et de l’esprit, en relation
avec l’univers, à tout instant et dans toutes les activités
de la vie. Ce que Daniel Odier (auteur notamment de "Tantra : initiation
d’un Occidental à l’amour absolu" Pocket, 2002),
qui l’a fait connaître en France, définit comme la « spontanéité de
l’extase ».
Cette approche implique un apprentissage de notre double polarité,
masculine et féminine, et l’acceptation de notre entière
réalité, avec ses ombres et ses lumières. C’est
la singularité du tantrisme que de n’être pas une philosophie
du renoncement : « Il n’est plus nécessaire de fuir
le corps pour trouver la paix, souligne Bernard Baudoin (auteur du "Tantrisme,
une voie de libération immédiate" De Vecchi, 2002, épuisé),
car le corps lui-même devient un temple sacré : le lieu de
la béatitude. »
La sexualité est vécue comme une méditation où,
grâce à des techniques de respiration et de relâchement
du corps, chacun des partenaires peut ressentir un sentiment d’unité profonde
avec lui-même et avec l’autre. Pour être complet, l’orgasme
ne saurait donc être strictement génital, et les hommes sont
incités à l’atteindre sans éjaculation. Il
ne s’agit plus de la maîtriser, mais de parvenir à l’oublier.
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